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Christian Serres

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Photo : Julien Hank Fitte

Depuis mardi 17, notre Pays vit au ralenti. Blouses bleus sommées de se confiner, blouses blanches en plein rush, le paysage de l’activité dans l’hexagone n’est plus à dépeindre. Pourtant, alors que les articles pleuvent pour féliciter nos personnels soignants, les projecteurs ne semblent pas vouloir se tourner vers nos agriculteurs. Corrigeons le tir avec cette interview de Christian et Florent Serres, père et fils agriculteurs exploitants à L’Isle-en-Dodon.

Diagonale : Messieurs bonjour, nous vous savons toujours au travail malgré cette situation difficile, quels changements avez-vous observés ?

Bonjour Diago, toujours au boulot oui, on s’occupe des blés et prépare les semis de printemps (tournesol, maïs…). Le travail reste identique même si on commence à observer des difficultés à se procurer certains produits, les chaines d’approvisionnement étant fortement impactées.

Votre activité est-elle compatible avec la recommandation de devoir rester confinés? Quel sont vos risques d’exposition au virus ?

À vrai dire, en cette saison nous passons le plus clair de notre temps seul dans la cabine du tracteur. Aucun risque donc d’être source ou sujet de contamination. Nous respectons cependant le confinement une fois le travail terminé. 
Pour ce qui est de la continuité de notre activité, le fait est que c’est la Nature qui nous dicte le calendrier. Si nous ne nous tenons pas à ce dernier, nous créerons une crise d’approvisionnement à la fin des moissons. Si cela devrait se produire, nous serions dépendant des exportations, chose qui n’a clairement pas été à notre avantage lorsqu’il a fallu trouver des masques et autre gels hydroalcooliques ces derniers jours…

Si vous êtes encore au travail, c’est donc pour nous faire tous manger demain. A l’issue de cette crise, est-ce que le regard des français sur votre activité va changer selon vous ? Je pense à l’association agriculteur/pollueur notamment.


Je l’espère, ne serais ce qu’en voyant que l’air est devenu plus sain dans les villes depuis que quasi plus personne ne circule, ne prend l’avion ou ne produit dans des usines alors que dans le même temps, nous continuons pourtant à travailler…L’agriculture est un des milieux qui a le plus évolué en matière de respect de l’environnement depuis ces 20 dernières années, il serait temps que les mentalités en prennent conscience. Cette crise montrera peut être que notre métier n’est pas responsable de tous les maux qu’on lui accorde. Au passage, nous tenons à saluer les secteurs encore au travail malgré le confinement. Ces métiers vitaux pour nous tous, de la distribution alimentaire à la santé en passant par les collectes des déchets ainsi que les forces de l’ordre. Il est important pour nous tous de nous unir afin de faire valoir notre rôle auprès de l’État. De plus, si les journalistes pouvaient donner moins dans le sensationnel ou dans le sujet qui vend du papier sans se soucier de la véracité des propos tenus, ce ne serait pas plus mal (ndlr : nous en prenons bien note !)

Pour paraphraser Coppola dans Apocalypse Now, « Elle durera pas toujours cette guerre ». Quels sont vos projets à venir ?

Nous étudions le passage en bio sachant que nous sommes déjà en agriculture raisonné. En effet, plus on utilise de produits, plus ils nous coûtent cher. Moins en employer nous va parfaitement ! De plus leurs prix se sont vus grimper et certaines références disparaitre. Encore une fois, nous nous adaptons pour faire les choses au mieux pour nous, l’environnement et la population alors qu’en parallèle, nous avons perdu 1/3 de nos aides et qu’on nous paye notre production au même prix qu’il y a 20 ans…


Rédiger cet article tenait à cœur de la rédaction de Diagonale. Mettre en avant les gens qui nous font purement et simplement manger en ces temps difficiles nous importe tout autant que tous ces corps de métier qui travaillent avec courage et détermination pour le bien de nous tous. Grâce à tous ces hommes et ces femmes, la France est au ralenti mais pas à l’arrêt. Au sortir de cette crise, il sera de bon ton de ne pas l’oublier…

Installé à l’Isle-en-Dodon depuis 1986, Christian Serres est un de ces agriculteurs qui nous fait manger. Blé, maïs, tournesol, colza, sa production est vendue en France mais alimente également l’exportation en Espagne et au Maghreb. Rencontre avec un producteur qui n’a pas la langue dans sa poche.

L’agriculture, Christian est tombé dedans quand il était petit . « À 4 ans, mon père me faisait tenir le volant du tracteur. J’ai aidé sur l’exploitation familiale avant d’acheter à l’Isle-en-Dodon ». Il acquiert
80 hectares cultivables assortis de bâtiments pour se lancer. Aujourd’hui, c’est pas moins de 205 hectares qu’il travaille, majoritairement sur la commune avec également 60 hectares à Lacroix Falgarde. L’ensemble de sa production, il la vend à la coopérative «Val de Gascogne », située à Lombez. Elle distribue ensuite sous différentes marques comme Gers Farine qui alimente de nombreuses boulangeries de la région. Sans le savoir, vous avez déjà sûrement mangé le fruit de sa production.

En 33 ans de travail, il a vu son métier évoluer avec ses hauts et ses bas. Politique Agricole Commune, mondialisation du marché des céréales et émergence du bio, les changements vont bon train avec, malheureusement, une image de l’agriculteur de plus en plus ternie. « Lorsqu’un scandale éclate, nous sommes toujours désignés comme coupables. Or on oublie souvent que si un pesticide est utilisé, c’est qu’un politique l’a autorisé… » il poursuit « On met en avant les problèmes alors que nous travaillons constamment pour faire de belles choses. C’est sûrement moins vendeur de parler de ce qui va bien». Pas facile de s’en sortir dans un tel contexte, mais Christian garde le sourire. Il faut dire que sa famille l’entoure dans sa vie personnelle, ainsi que professionnelle. Sa femme travaille à la coopérative et son fils s’est lancé dans l’aventure il y a 3 ans avec 85 hectares qu’il cultive à l’Isle-en-Dodon. La relève est donc assurée…